TELECHARGER Samedi 14 – Jean-Bernard Pouy

 

 

Auteur : Jean-Bernard Pouy
Editeur : Editions La Branche
Date de parution : 13 octobre 2011
Genre : Policier
Langue : Français
Format : ePub

 

 

Ce putain de lumbago.
Au réveil, faut déplier la carcasse avec précaution, en espérant que ça ne couine pas trop, en guettant les coups de poignard dans le bas du dos, et il faut mettre en pratique toute une stratégie ergonomique pour enfiler les chaussettes. Mais on tient le choc, car on pense au café brûlant qui va suivre, au long moment pendant lequel on va l’aspirer, les lèvres en cul de dinde, le regard perdu en direction de la petite fenêtre de bois bleu, vers les noisetiers immobiles, les bourdons bedonnants, coincés dans les fleurs de balsamine, et les roses trémières avec les merles qui cavalent dessous.
Une journée se profile alors, une journée de plus. Hier, c’était soi-disant un jour béni. Mais rien n’est venu troubler ma verte retraite, en bien ou en mal, chance ou malchance, ça fait quatre ans maintenant que les jours ressemblent aux jours, que j’ai quitté la noirceur de ma vie d’avant. Je ne regrette rien car je l’ai bien mérité, ce repos de l’âme. C’est une décision intime. Un jour, le couvercle de la marmite a sauté. A peine cinquante balais, une petite bicoque prêtée par un pote définitivement parti pour les Iles se dorer la couenne et le RSA qui tombe aussi régulièrement que la pluie, bien suffisant à une survie de quasi-stylite. De temps en temps, je pense à mon vrai boulot, mais comme ma spécialité est le plomb, pas celui des dentistes, non, celui des imprimeurs, ce n’est donc pas souvent.
Tout ce que j’ai ramené de mes années récentes, c’est ce foutu lumbago, qui réapparaît de temps en temps, comme pour me rappeler que rien n’est jamais simple, qu’on ne change pas forcément de vie comme ça, pichenette, et qu’il y a toujours des éventualités merdiques pour vous signaler qu’on vieillit, qu’on paye les fausses et absurdes énergies mises à faire avancer le monde coûte que coûte.
Aujourd’hui sera encore une journée paisible. Un bon samedi 14. C’est-à-dire que dalle. La litanie des heures. Un peu de jardinage, quelques courses au bourg, les «Salut ça va ?», les «Tu crois qu’il va pleuvoir ?» avec les natifs, le journal et le pain de deux. Tous les deux jours, le bavardage-apéro avec mes vieux voisins. Elle, qui est née ici, perd peu à peu la boule et lui, anciennement polonais, il n’a plus de dos, comme ça je peux vérifier à peu de frais ce qui me pend au nez. J’écouterai aussi, une fois de plus, mes vieux CD, le rock & roll en zone rurale, y a que ça de vrai, ça fait longtemps que je n’entends plus la radio, la fébrilité des temps qui s’enfoncent inexorablement ne me concerne plus.
Et après, une grande partie de la journée pour penser.
Regretter. Et espérer.
Toujours.

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